vendredi 3 avril 2015

mémé

"mémé" 2014 (200cm par 125)




Plusieurs années après sa mort, j'ai eu besoin de peindre ma grand-mère paternel pour la raconter. La cuisine était banale. Elle termina sa vie dans un appartement propre sans lien avec la ferme où se déroula sa vie. c'est dans cette pièce sans âme que mémé me raconta son histoire. Une histoire banale certainement comme des millions de vies. Mais une histoire qui marque et qui marqua mes cousins et cousines que je retrouvais à Bodéa. Notre grand-mère donna son cœur pour nous. Et si les mots me manquent pour lui rendre hommage, voici l'image pour le dire.
Cette toile est peinte en recto-verso car une vie n'a pas qu'une face!


détail


 
S'asseoir un instant pour se demander ce qu'on regarde, et pourquoi?

Mise au régime ce matin. Pas de consommation de couleurs mais une diète salvatrice .Les harmonies chromatiques  m'épuisent, alors que le crayon papier, lui, me repose.

 La mine grise en guise de présentation, comme  premier contact; j'avance vers ma feuille blanche avec  cet outil austère qui s'efface et me rassure. La quête du chemin graphique se fit la gomme à la main. Rien à faire, les enfants se précipitent toujours  sur le cube qui corrige leurs "erreurs", la gomme   nous empêchent d'avancer par le truchement d'un détournement de lignes. Il me faudrait avoir le courage de l'encre pour assumer mes écarts de conduite. Mais je veux estomper avec mes doigts. Je veux diluer ma mine avec de l'essence. Je veux que ma gomme mie de pain cherche la lumière. C'est cette ombre et cette lumière qui distribuent les rôles pour  raconter leur existence.

Mes personnages se sont assis et me parlent. Ceux de Lucian Freud d'abord qui font écho à la vie de mes proches. Cette capacité d'identification est l'empathie qui brise la solitude. Cette homme assit de face tente de s'adresser à ma grand-mère (vue de coté). Le chien, fidèle compagnon ne voit pas le sein de la femme. S'agit-il d'une Marianne épuisée et triste déçue par les  révolutions ratées?. Les mamelles de la France ont perdu leur éclat et on ne sait même plus pourquoi on voit ce sein." Cacher le moi!" c' est déjà la preuve que quelqu'un l'avait vu. "Viens me voir!"; "regarde par ici". "Regarde moi quand je te parle!" Mais où est l'autre intime au regard bleu? Les yeux se vident quand ils ne se croisent pas. Fixez moi de vos  yeux de cochon, plutôt que de détourner le regard devant l'indiscrète absence. C'est la solitude du clochard. La solitude des vieux, de mamy, de ma grand-mère, de mémé. L'implorant regard d'un chien voit  le miroir brisé. Il m'obligera demain, à jeter un œil par la fenêtre pour venir à la rencontre des absents emportés  dans la grande lumière.

Je la trouvais là, assise sur deux annuaires face à une chaise vide, une table blanche en formica. Je n'eût à peine besoin de lui dire :
-ne bouge plus mémé! je vais te croquer..
que déjà son corps était immobile. Sans joie, ni tristesse. Elle regardait les dessins de la fenêtre sur le mur. Son homme était mort. Elle ne pleurait pas. Ne riait pas. Elle semblait retenue à plaisir par son passé. Après mon crayonnage, je me suis assis sur la chaise libre, une amie était là aussi pour saisir l'instant. Régulièrement, je venais parler à ma grand-mère, lui poser mille et une question pour la retenir, la comprendre, connaitre son récit, son amour pour mon grand-père.

 Je comprends maintenant que tant qu'une histoire se raconte, la mort est repoussée.